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FICHE D’INFO: Les morts occasionnées par les conflits en Afrique sub-saharienne

Cet article date de plus de 9 ans

Environ 8.300 personnes sont mortes dans conflits en Afrique sub-saharienne, pendant les deux premiers mois de l’année 2015, avec cinq pays – Nigeria, Cameroun, Soudan, Somalie et Niger – enregistrant près de 90% de ces morts.

La plupart de ces cas de violence sont enregistrés en Afrique de l’Ouest, où les conflits entre les forces armées et le groupe islamiste Boko Haram, et les attaques de Boko Haram sur les civiles expliquent la majorité des décès liés aux conflits.

Qui fait le décompte?


Les chiffres sont tirés du projet Armed Conflict Location and Event Data (ACLED) (texte en anglais), qui a effectué un monitoring sur la violence en Afrique depuis 1997. C’est une organisation non gouvernementale qui rassemble des données sur les conflits, les acteurs et les dégâts en s’appuyant sur les médias locaux, nationaux, régionaux et internationaux sur une base quotidienne. Les informations sont fournies par les rapports des organisations non gouvernementales, dans les zones difficiles d’accès.

Les chiffres des bases données sont prudents : là où il y a divergences sur le nombre de victimes, le plus bas chiffre est enregistré dans la base de données. Et les "douzaines" et "centaines" et de morts sont respectivement enregistrées comme 12 et 100.

Par exemple, elle a établi le nombre de morts du massacre de Baga dans le Nord du Nigeria en janvier à 1.700, tandis que les informations initiales faisaient état d’un nombre supérieur à 2.000.

Sur les traces de Boko Haram


Jusqu’ici, plus de la moitié des morts liées à des conflits en Afrique sub-saharienne ont eu lieu au Nigeria. Les conflits sont centrés sur l’activité de Boko Haram qui a causé 5.700 morts dans le pays et dans les pays voisins (Cameroun et Niger). Pendant la même période en 2014, 770 personnes avaient été tuées dans violences attribuées à Boko Haram.

Boko Haram, qui revendique au bas mot, 15.000 membres, recrute principalement chez les analphabètes, les chômeurs et les habitants du Nord du Nigeria qui sont désavantagés socio-économiquement. Ceux-ci en ont assez de la corruption, de la brutalité des forces de sécurité et de la situation d’abandon du Nord.

Le groupe a adapté sa tactique et ses stratégies en se tournant vers la violence en 2009. Après avoir ciblé dans un premier temps les infrastructures et les agents de l’Etat, il s’est ensuite attaqué aux civils à travers des campagnes de terreur massive. Récemment, le groupe s’est engagé dans une guerre conventionnelle, en s’emparant de territoire, mais des incursions des forces armées nationales et régionales l’ont poussé à retourner à la tactique de la guérilla.

L’augmentation des affrontements directs entre Boko Haram et les forces armées nationales et régionales au Nigeria – environ 70 affrontements cette année, contre 10 sur la même période l’année précédente – a affaibli le mouvement.

En février, les forces régionales revendiquaient la reprise de Baga dont Boko Haram s’était emparé au début de l’année 2015. Début mars, 18 sur les 20 gouvernements locaux dans les Etats d’Adamawa, Borno et Yobe ont été repris par les militaires. Le Niger et le Tchad ont lancé un assaut combiné par terre et par les airs, tandis que l’Union africaine soutient la force multinationale de 10.000 membres destinée à neutraliser le mouvement.

Mais le groupe garde toujours sa capacité de nuisance. Au début du mois de mars, plus de 50 personnes ont été tuées dans cinq explosions dans l’Etat de Borno qui a comme capitale Maiduguri. On rapporte également que le groupe a lancé une offensive au Cameroun et au Niger voisins, où au total 930 à 500 personnes ont été tuées pendant les deux premiers mois de cette année.

Soudan : Gouvernement contre rebelles


Au Soudan, le gouvernement mène une guerre sur deux fronts : contre les rebelles au Darfour et contre le Mouvement de libération du peuple du Soudan-Nord (SPLM-N) dans les Etats du Kordofan Sud et du Nil Bleu. Ces conflits ont fait 700 morts jusque-là.

Ces problèmes sous-jacents aux conflits sont similaires à ceux du Nigeria: des doléances locales, fruit d’une marginalisation politique et socio-économique et une distribution inéquitable des ressources du pays.

Darfour: Le conflit persistant entre le gouvernement soudanais et des mouvements rebelles du Darfour a d’abord éclaté en 2003, quand le Mouvement pour la justice et l’égalité et l’Armée de libération du Soudan ont pris les armes pour protester contre la marginalisation de la région. Le gouvernement répond en lâchant les milices arabes, appelées Janjaweed, qui s’en prenaient aux populations non-arabes du Darfour, à travers une campagne de génocide (c’est le terme utilisé).

Depuis lors, on indique 400.000 personnes ont perdu la vie, et environ 3 millions déplacées. Les attaques du gouvernement contre les rebelles se sont intensifiées : vers le début du mois de janvier, on annonce que 155 villages avaient été évacués ou rasés, entrainant le déplacement d’environ 88.000 personnes.

Près de 277 personnes ont été tuées dans des combats entre les forces gouvernementales, leurs milices alliées et les rebelles, depuis le début de l’année 2015.

Nil Bleu et Sud-Kordofan: Le conflit au Nile Bleu et au Sud-Kordofan a éclaté juste après la sécession du Soudan du Sud en 2011. Les membres du SPLM-N, dans les deux Etats, ont participé à la guerre de libération du pays, mais ils étaient séparés de leurs voisins du Sud, lors du règlement définitif.

Ils commencent très tôt à agiter l’idée d’une autonomie politique, la réforme politique et la distribution plus équitable des richesses tirées du pétrole du Soudan. Le mouvement rebelle se ligue ainsi avec l’opposition armée au Darfour sous la bannière du Front révolutionnaire du Soudan (SRF), dans l’intention de détrôner Omar el-Bachir.

Le SFR a joint ses forces avec celles de l’opposition politique, en appelant à une réforme politique et la mise en place d’un gouvernement intérimaire pour superviser la transition démocratique.

Les négociations n’ont cependant pas donné grand-chose en termes de résultats. Et le conflit au Sud-Kordofan et au Nil Bleu n’a pas baissé d’intensité : 255 personnes ont été tuées dans des combats entre rebelles et forces gouvernementales en début d’année.

Avec al-Bachir qui consolidait son pouvoir en direction de l’élection présidentielle d’avril 2015, et des scrutins qui pourraient être annulés dans neuf circonscriptions pour cause d’instabilité, il y a vraisemblablement peu d’espoir d’une résolution pacifique dans un futur proche.

Al-Shabab perd du terrain en Somalie


En Somalie, 627 personnes ont perdu la vie dans le conflit politique, rien que pendant les deux premiers mois de l’année 2015. Le pays est déchiré par la violence depuis 1991, quand le président d’alors Mohamed Siad Barre a été évincé. Les seigneurs de la guerre des différents clans font irruption sur la scène politique pour combler le vide, entraînant une compétition violente qui a carrément détruit l’Etat.

Au moment où la guerre des clans contribue au nombre de morts dans le pays, le groupe islamiste Al-Shabab est la première source du conflit. La violence engendrée par le groupe a fait 380 morts sur les 627 enregistrées lors du conflit dans ce pays de la Corne de l’Afrique, rien pour les deux premiers mois de 2015. Ces décès sont liés aux combats qui ont opposé le groupe aux forces nationales de sécurité et aux troupes de la Mission des nations unies en Somalie (Amisom).

Al-Sahab, lié à Al-Qaida, est une dissidence de l’aile radicale de la jeunesse de l’Union des tribunaux islamiques, qui avait pris le contrôle de la capitale Mogadiscio et une bonne partie des régions du centre et du Sud du pays des mains des clans rivaux en 2006.

On indique que le groupe, qui cherche à installer un Etat islamique en Somalie, compte environ 5.000 membres. Il bénéficie du soutien d’une population conservatrice et joue sur la perception d’un gouvernement somalien corrompu. Al-Shabab s’est présenté en alternative viable au gouvernement dans les territoires qu’il contrôle, en fournissant aux citoyens les services et les infrastructures que le gouvernement est incapable d’assurer.

Al-Shabab a toutefois été affaibli par des affrontements avec l’Amisom et les forces nationales de sécurité. On souligne que le groupe a perdu 85% de ses territoires suites aux offensives de l’Amisom en mars et août 2014. Il a subi un autre revers quand un drone américain a tué son leader Ahmad Godane, en septembre.

Les offensives militaires en cours contre le groupe ont continué jusqu’au début 2015, avec plus de 100 combats entre le groupe et l’Amisom ou bien contre les forces armées somaliennes. Trois attaques au drone attribuées aux Américains contre les cibles d’Al-Shabab ont tué 40 personnes, rien que pendant les deux premiers mois de 2015.

Al-Shabab n’a toutefois pas perdu sa capacité offensive, en attaquant des cibles à l’intérieur et à l’extérieur des frontières somaliennes.

Fin 2014, il a tué 64 personnes dans deux attaques dans le Nord-est du Kenya. Et pendant les deux premiers mois de 2015, Al-Shabab s’en est pris à l’Amisom et aux convois de l’Union africaine et de l’Ethiopie, à deux bases de l’Amisom, ainsi qu’à deux hôtels à Mogadiscio.

La situation est-elle en train de s’améliorer ou de s’empirer?


Le nombre de 8.300 morts enregistrées pendant les deux premiers mois de 2015 est comparable aux 6.333 morts de la même période de l’année dernière. – une année pendant laquelle, 35.000 personnes ont perdu la vie dans les conflits en Afrique sub-saharienne.

Trois Etats ont enregistré 83% des décès liés aux conflits en 2014. Le Nigeria était largement en tête avec plus de 11.000 morts. Il était suivi du Soudan du Sud, de la Somalie, du Soudan et de la République Centrafricaine. La plupart de ces victimes étaient impliquées dans des combats entre les forces de sécurité et les combattants armés.

Cette année, au moment où beaucoup de décès sont la conséquence de combats, les attaques directs contre les civiles deviennent une tendance préoccupante. Jusque-là, 40% (ou 3.400) des décès liés aux conflits dans la région concernent des civils pris pour cibles par les groupes armés, contre 35% en 2014, année pendant laquelle la violence contre les civiles a augmenté pour la première fois en cinq ans.

2014 a été l’année la plus sanglante en Afrique sub-saharienne au cours des dix dernières années, après le pic de 26.500 en 2013. Si la rébellion de Boko Haram n’est pas contrôlé, 2015 pourrait être plus sanglante.

Shirley de Villers est doctorant et enseignant au Département de Sciences politiques de l’Université de Pretoria.

Traduit de l’anglais par Assane Diagne

Lecture complémentaire (en anglais)

FACTSHEET: What happened in Baga?

COMMENT: Assessing the Baga massacre death toll

REPORT: Have over 13,000 people been killed in Nigeria’s insurgency?

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