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COMMENTAIRE - Après Covid-19, rester opiniâtres contre les infox

Au Sénégal, le 14 mars 2020, le quotidien L’Observateur, le plus vendu dans le pays, indiquait que des membres du personnel médical à Touba (Centre du Sénégal) avaient été testés positifs à la maladie à Coronavirus 2019 (Covid-19). 

L’article en question avait largement été repris par des sites d’informations avant que  L’Observateur,  à la suite de la réaction des internautes et le courroux des autorités sanitaires, ne publie, deux jours plus tard, un erratum dans lequel il « reconnaît, en toute responsabilité, l’inexactitude des propos prêtés au chef des opérations de l’équipe mobile d’intervention et de soutien du Centre des opérations d’urgence sanitaire ».

Les infox sur la pandémie Covid-19 ont suscité des réactions officielles du gouvernement sénégalais, de la gendarmerie sénégalaise, et du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics).

Le Synpics a rappelé que « le traitement des informations portant sur la Covid-19 doit se faire en toute responsabilité pour éviter la psychose et les mauvaises interprétations » : impossible de ne pas y voir un rappel à l’ordre. 

Covid-19, la pandémie qui révèle une autre ?

À quelque chose, malheur est bon. Car, au Sénégal comme partout dans le monde, en exagérant à peine, jamais les infox n’auront autant été au cœur des débats, ou, du moins, autant prises au sérieux. 

 Les fake news sur le virus alimentent la panique https://t.co/rTaXvSkdBC via @24heuresch


— Corentin Chauvel (@corentinchauvel) January 30, 2020

Depuis quelques semaines, elles alimentent, comme jamais, les débats dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les communications formelles et informelles; alors même que c’est par ces canaux qu’elles pullulent. Ironique. 

Mais, donner à croire que cette pandémie Covid-19 a provoqué une pandémie d’infox ne nous semble pas tout à fait exact, dans l’absolu. La seconde faisait déjà des ravages, partout dans le monde, bien avant la première; et loin d’occulter le très lourd tribut porté à l’humanité par cette maladie : Covid-19 et sa pléthore d’infox sont l’arbre qui cache la dense forêt de la désinformation sur la santé. 

Du danger des infox

Au mieux, jusqu’ici, on a reconnu que ces infox constituent un danger pour les médias et les démocraties : mais, globalement, quelle importance accordent le conducteur de "car rapide" de Dakar et la bayam-sellam du marché central de Yaoundé aux mécanismes des médias et de la démocratie ? En revanche, dites-leur, et surtout démontrez-leur, que les infox sur la santé peuvent être mortelles : la donne change.

Et c’est exactement ce qu’on commence à observer sous le paradigme de la Covid-19 « qui frappe sans égard pour le statut social des uns et des autres », comme l’a si bien signifié le président sénégalais Macky Sall en décrétant, le 23 mars 2020, l’état d’urgence en guise de riposte à cette maladie.

Le président sénégalais, Macky Sall, a même tenu à rappeler qu’« à ce jour, il n’y a ni vaccin, ni médicament homologué contre la Covid-19 ». Si, dans son discours, il s’est gardé d’évoquer les termes « infox », « fake news » ou « désinformation », c’est peut-être pour ne pas leur donner plus d’échos qu’ils en ont déjà. Mais il va de soi que cet extrait de l’allocution du chef de l’Etat sénégalais est bien une piqûre de rappel contre toutes ces infox relatives aux remèdes et autres théories du complot contre le nouveau coronavirus.

Les infox apparaissent, d’un coup, sous un nouveau jour, avec un air plus sérieux, sous leur véritable visage, dépareillées de la banalité à laquelle elles sont réduites (souvent à raison) et chargées de tous les dangers qu’elles comportent : l’abrutissement, la psychose, le désordre, le péril, la mort. 

Dommage qu’on ait attendu, pour la plupart, la pandémie Covid-19 pour prendre la pleine mesure du danger que constituent globalement ces informations mensongères conçues délibérément pour induire en erreur. 

Mobilisation mondiale

Mais restons raisonnables. Car, toute proportion gardée, si l’engouement contre les infox animent autant les discussions en 2020, des étables des marchés aux bureaux des hautes sphères de décision, c’est d’abord parce que la maladie à Coronavirus 2019 s’est mondialisée quasi simultanément et qu’elle a entraîné, dans les médias et sur les réseaux sociaux, un trop plein d’informations, d’analyses et de commentaires parasités par une désinformation massive.

C’est ce méli-mélo, cet embrouillamini, que le directeur de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a qualifié d’« infodémie » soulignant que « notre plus grand ennemi à ce jour, ce n’est pas le virus lui-même. Ce sont les rumeurs, la peur et la stigmatisation ». 

En effet, les stéréotypes racistes et xénophobiques en lien avec l’apparition et la propagation du SRAS-CoV-2, du nom du virus responsable de la Covid-19, n’ont échappé à personne et sous tendent les appréhensions du patron de l’OMS. 

Preuve de l’urgence particulière de la situation, l’OMS a mis en place un plan de riposte contre les infox, en partageant notamment sur son site internet et via l’application de messagerie WhatsApp, des conseils au grand public pour en finir avec les idées reçues : en quelque sorte, combattre les infox en leur opposant des infos. Quel autre symbole plus fort, que celui de l’institution onusienne en charge de la santé prenant à bras le corps cette bataille ?

Au Sénégal, par exemple, dès les premiers jours qui ont suivi l’annonce des premiers cas positifs à la Covid-19, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a initié une réunion d’urgence en invitant blogueurs, artistes, journalistes et autres acteurs influents d’Internet et des réseaux sociaux, pour la mise en place d’une « riposte digitale » contre la désinformation autour de la Covid-19. Initiative louable – qui consiste avant tout à apporter la bonne information et les bons gestes à avoir, en réponse aux nombreuses rumeurs et autres intox – mais aussi inédite. Car, lors des dernières épidémies qui ont concerné le pays, celles d’Ebola en 2016 et de la dengue en 2017, jamais la désinformation ne s’était autant faite ressentir selon Bineta Bocoum qui dirige la cellule de communication dudit ministère. Nous pouvons le confirmer, fort de nos observations.

« Aujourd’hui,  il y a plus de blogs, de groupes WhatsApp, d’instances de discussions. Nous n’avions jamais travaillé dans ce sens avec les acteurs d’Internet. A présent, nous sommes obligés, vu la fréquence à laquelle la désinformation se manifeste », argue Bineta Bocoum. 

Dans la même veine, en France, le solennel « Nous sommes en guerre ! » du président Emmanuel Macron, appelant à l’union en cette période troublée, mais aussi, instituant une mise en avant des sources officielles et une veille commune contre la désinformation, résonne comme un leitmotiv mondial. Et, dans le monde, les initiatives anti-infox Covid-19 sont multiples et diverses. Nous n’allons pas toutes les évoquer. 

Soulignons quand même le WhatsApp Information Hub une initiative commune entre la plateforme de messagerie WhatsApp (qui appartient à Facebook), l’OMS, l’UNICEF et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : l’initiative vise à conseiller les deux milliards d’utilisateurs de WhatsApp sur les bons gestes à avoir durant l’épidémie et, bien entendu, à se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées sur la maladie.

À travers WhatsApp, c’est la mobilisation des GAFA que nous voulons aussi souligner. 

De la fonction essentielle et intemporelle du fact-checking

Mais en première ligne de cette guerre mondiale contre la Covid-19 – loin de tout corporatisme de notre part – c’est la mobilisation mondiale des fact-checkers, qui n’ont pas attendu la pandémie de la Covid-19 pour se consacrer au quotidien à traquer les infox en tout genre, qu’il faut saluer : à ce jour, plus de 800 articles de vérifications des faits liés à la Covid-19 sont consultables sur le site internet de l’International fact-checking network, le réseau mondial des fact-checkers.

La pandémie Covid-19, met ainsi  en lumière le danger des infox et subséquemment la fonction essentielle de la vérification des faits dans un contexte de surcharge informationnelle qui ne date pas de décembre 2019, date à laquelle la maladie a été signalée pour la première fois.

À Africa Check, les équipes francophone et anglophone couvrent cette vague d’infox sur la Covid-19 depuis le début de l’année et sont naturellement inscrites dans cette synergie mondiale des fact-checkers.

Il ne s’agit pas ici d’essayer de plaider pour une reconnaissance de la nature primordiale du fact-checking qui est forcément essentiel car consubstantiel et fondamental au journalisme.

En revanche, il est impérieux de souligner que les infox sur la Covid-19 doivent être vues comme une période de pic en matière de désinformation sur la santé. Au risque de nous répéter, les infox liées à la santé ne datent pas de décembre 2019 mais avaient déjà, par exemple, été à l’origine d’une recrudescence des cas de polio dans le Nord du Nigeria au début des années 2000 alors que le pays s’apprêtait à porter le coup fatal à ce fléau.

D’ailleurs, c’est partant de cette triste expérience que le journaliste britannique Peter Cunliffes-Jones, alors chef du bureau de l’Agence France Presse au Nigeria, a eu l’idée de fonder Africa Check. 

Somme toute, ce qui est clair, c’est que l’infodémie et la désinformation, elles, ne disparaîtront pas après la Covid-19, et qu’il faudra, après cette pandémie, garder deux réflexes capitaux : se laver régulièrement les mains et maintenir la même opiniâtreté contre les infox en tout genre.

Nous sommes en guerre contre les infox et c’est une guerre intemporelle.

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