Retour sur Africa Check

20.000 troncs d’arbre fraichement coupés ? Impossible (experts)

Cet article date de plus de 8 ans

L’ancien ministre sénégalais de l’Environnement et de l’Ecologie, Ali El Haïdar, a annoncé, dans un communiqué largement relayé par la presse, il y a quelques semaines, la saisie de 20.000 troncs d’arbre frauduleusement coupés et stockés sur six sites en Casamance, la région sud du Sénégal.

"Il s’agit de troncs fraichement coupés de dimb (Cordylapinnata) et de venne (Pterocarpuserinaceus)", deux espèces nobles, a précisé M. Haïdar, dans le même document.

Interrogé par Africa Check, M. Haïdar, directeur de l’Oceanium, une association de protection de protection de l’environnement, a confirmé la saisie de ces 20.000 troncs d’arbre par des élus écologistes de la région méridionale, ajoutant que "pas plus tard qu’hier [14 septembre 2015] une nouvelle saisie de bois a été opérée".

L’écologiste a dit avoir saisi les Services des Eaux et Forêts et l’administration territoriale, après sa découverte, affirmant que "c’est un trafic  bien huilé avec des complicités bien placées". Il n’a pas fourni de photo du bois saisi.

Sans chercher à remettre en cause l’existence de cette saisie, Africa Check s’est intéressé à la quantité annoncée (20.000 troncs fraichement coupés).

Est-ce possible? Quelle superficie cela représente-t-il?


Des accacias plantés dans la région de Louga (Sénégal) en 2011, en vue de combattre la désertification. Le Sénégal est effectivement confronté à un problème de coupe frauduleuse de bois. Photo: AFP / Seyllou Des accacias plantés dans la région de Louga (Sénégal) en 2011, en vue de combattre la désertification. Le Sénégal est effectivement confronté à un problème de coupe frauduleuse de bois. Photo: AFP / Seyllou

Les bucherons sont-ils donc en mesure de le faire? Examinons d’abord ce que cela représente en termes de superficie (en termes de déforestation), avant de voir si cela est possible.

Interpellé sur ce que cette saisie représente en termes de superficie détruite, l’ancien ministre de l’Environnement a souligné qu’il suffit juste de diviser 20.000 par 400, soit 50 hectares de forêt dépourvus de ces deux espèces.

Mais le président de l’Union nationale des coopératives d’exploitants forestiers du Sénégal (UNCEFS), Ablaye Sow, contacté par Africa Check relève qu’on peut "multiplier ces 20.000 troncs par 10, parce que chaque tronc peut générer 10 pièces de 2,5 à 3 mètres  chacune", a-t-il dit.

Sow a reconnu et déploré le trafic de bois vers la Gambie, avant de nous orienter vers les inspecteurs des Eaux et Forêts qui sont plus aptes, selon lui, à interpréter ce chiffre avancé par l’écologiste et homme politique.

Selon le Commandant Seydi Aboubacar Bèye, l’inspecteur régional adjoint des Eaux et Forêts de Sédhiou: "Les 20.000 troncs d’arbre, si c’est dans une forêt jardinée où il y a des espaces réguliers, ce qu’on appelle les écartements, une zone de 3 mètres fois 3 mètres d’écartement, ça fait 1.111 arbres par hectare. Donc 10.000 arbres, c’est 10 hectares et 20.000 arbres fera 20 hectares", a-t-il expliqué.

"Pour les 20.000 hectares, si vous prenez un écartement de 3X3, ça vous fait la moyenne de 20.000 troncs et cela nous renvoie à 200 mètres sur 100 mètres avec une coupe systématique de tous les arbres", a expliqué l’inspecteur adjoint des Eaux et Forêts de Sédhiou.

"Si on se base sur le fait que 100 hectares égalent 1 km2 donc 20 hectares, ça fait 0,01 km2", a-t-il fait observer.

Serait-il techniquement possible de couper illégalement autant d’arbres?


Les pirogues en bois des pêcheurs doivent être remplacées par des bateaux en fibre de verre pour combattre la déforestation. Photo: AFP / SEYLLOU Les pirogues en bois des pêcheurs doivent être remplacées par des bateaux en fibre de verre pour combattre la déforestation. Photo: AFP / SEYLLOU

Prié d’expliquer le nombre de troncs saisis, le Commandant a dit que "techniquement, ce n’est pas possible et c’est super exagéré".

Il a souligné, à cet effet, que "des troncs d’arbre de 25 à 35 mètres de long et 1 mètre de diamètre tiennent difficilement dans un espace où 20.000 troncs d’arbre sont stockés". Par exemple, selon lui, "400 hectares représentent toute une forêt à perte de vue pour pouvoir contenir 20.000 troncs d’arbre".

Le colonel Baïdy Ba, directeur des Eaux et Forêts fait la même analyse.

"Pour ce qui est de la quantité de bois, le bois d'artisanat est débité en des billons ne dépassant pas 1,5m. Cela veut dire que pour un arbre, la bille, la sur-bille, les branches sont débitées et il faudrait en moyenne 2 à 6 troncs (arbres), selon la taille, pour remplir un camion de 60 stères", expliquait-il, dans un article du quotidien Enquête du 10 août 2014 repris par le site seneplus.com.

"Donc 20 000 troncs, autrement dit 20 000 arbres, correspondent à une quantité de billons pouvant remplir environ 4 000 à 5 000 camions de 60 stères soit l'équivalent de 240 000 à 300 000 stères. Ce sont des chiffres chimériques qui dépassent l'entendement. Cela est faux !", soulignait-t-il.

Les experts reconnaissent que la coupe abusive de bois est un problème


La coupe illégale de bois est un problème majeur dans beaucoup de pays dont les Philippines où cette saisie a été opérées . Photo: AFP La coupe illégale de bois est un problème majeur dans beaucoup de pays dont les Philippines où cette saisie a été opérée . Photo: AFP

Dans le même sillage, le Docteur Assane Goudiaby, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar a reconnu à son tour la coupe abusive de bois dans les zones où on trouve du venne , rendant ces espèces nobles "de plus en rares".

Cependant "Couper 20.000 troncs d’arbre, je ne peux pas dire si c’est possible ou impossible. Mais 20.000 troncs d’arbre, ça me parait élevé, honnêtement", a affirmé le Docteur Goudaiby.

"Pour pouvoir le faire, il faut un nombre assez important de 200 à 300 exploitants qui travaillent en même temps pendant cinq jours sur des zones ciblées", a-t-il ajouté.

"Dans les conditions où M Haïdar l’a dit, ce n’est pas possible de réunir autant de monde. Ce sont des coupes par ci par là. Mais pour nous scientifiques, pouvoir dire, s’il est possible de réunir ce nombre [de bucherons], il faut une étude", a insisté Assane Goudiaby.

"Il faut que la région toute entière soit considérée mais honnêtement, ca me semble élevé", a souligné le docteur Goudiaby qui a participé à plusieurs missions d’inventaires d’espèces végétales dans le Sud du Sénégal.

Conclusion : L’affirmation selon laquelle 20.000 troncs d’arbre ont été fraîchement coupés relève de l’exagération.


Comme le dénonce M. Haïdar, confirmé en cela par plusieurs spécialistes et observateurs, il y a certes une coupe abusive de bois dans les régions sud du Sénégal et un trafic intense vers la Gambie voisine.

Mais la quantité annoncée par l’écologiste, à savoir "20.000 troncs fraichement coupés" est contestable à plus d’un titre, surtout que les fraudeurs utilisent des moyens rudimentaires face à ce type de bois qui "très solide" avec des diamètres de 60 à 80 centimètres voire un mètre.

Relu par Peter Cunliffe-Jones

Republiez notre contenu gratuitement

Veuillez remplir ce formulaire pour recevoir le code de partage HTML.

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
limite : 600 signes
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Voulez-vous continuer à lire nos vérifications des faits ?

Nous ne vous ferons jamais payer pour des informations vérifiées et fiables. Aidez-nous à poursuivre cette voie en soutenant notre travail

S’abonner à la newsletter

Soutenir la vérification indépendante des faits en Afrique