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La Gambie est-elle «un pays de droit» ? Les preuves des experts du droit qui contredisent un avocat

Cet article date de plus de 8 ans

Me Abdoulaye Tall, avocat de Baye Modou Fall dit Boy Djinné, a indiqué, dans le quotidien Walfadjri du mardi 16 février 2016, que la Gambie est « un pays de droit » et son président un défenseur des droits de l’homme.

« Yahya Jammeh est ‘un droit-de-l’hommiste’, qui respecte les droits de l’homme, contrairement à ce qui se dit dans les médias sur lui, au Sénégal où on est en train de la diaboliser », a dit l’avocat de Boy Djinné, qui tarde à être extradé vers le Sénégal. Celui-ci s’est évadé de la prison de Diourbel, dans le centre du pays, au mois de janvier dernier, pour se réfugier en Gambie.

Me Tall a en outre affirmé que son client « est entre des mains sûres, car la Gambie est un pays de droit qui respecte les droits de l’homme ».

Africa Check a tenté de joindre l’avocat sans succès. Son téléphone portable sonne mais il ne décroche pas. Nous allons actualiser notre article dès qu’il réagit.

Son affirmation est-elle donc correcte? Qu’es-ce qu’un Etat de droit ? Quelle est réellement la situation des droits humains en Gambie ? Jammeh respecte-t-il les droits de l’homme ?

Un Etat de droit, selon l’ONU


L’ONU explique que l’Etat de droit « exige que les règles de procédure, les institutions et les normes essentielles soient compatibles avec les droits de la personne et avec les principes fondamentaux que sont l’égalité devant la loi, la responsabilité au regard de la loi et l’équité dans la protection et la défense des droits ».

« Il n’existe pas d’Etat de droit dans les sociétés où les droits de l’homme ne sont pas protégés. A l’inverse, les droits de l’homme ne peuvent pas être protégés dans des sociétés où n’existe pas un véritable Etat de droit », selon l’ONU.

L’administration Jammeh respecte-elle la loi et les droits de l’homme?


Le siège de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à Banjul. Des défenseurs des droits de l'homme réclament sa délocalisation. Le siège de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à Banjul. Des défenseurs des droits de l'homme réclament sa délocalisation.

Les organisations internationales peignent un tableau peu reluisant des droits de l’homme en Gambie sous Jammeh, dans leurs rapports dont l’un des derniers est celui de Human Rights Watch (HRW) publié en septembre 2015.

« Le gouvernement gambien commet de graves violations des droits humains à l'encontre de personnes considérées comme des détracteurs et des opposants politiques, perpétuant un climat de terreur et de répression dans le pays », affirme HRW, dans le document consulté par Africa Check.

Ce rapport intitulé « État de terreur : Arrestations arbitraires, torture et meurtres » décrit des abus commis entre 2013 et 2015.

A la question de savoir si la Gambie est un pays de droit, HRW a déclaré que Jammeh « a réprimé impitoyablement toute forme de contestation. Les forces de sécurité de l'État et des groupes paramilitaires semi-clandestins commettent des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et des détentions arbitraires, et font disparaître des personnes de force, poussant des centaines de Gambiens à fuir», dénonce HRW.

Les exécutions extrajudiciaires et les arrestations arbitraires sont, bien évidemment, en totale contradiction avec l’Etat de droit.

 «Non-coopération avec l’ONU »


De son côté, Amnesty International (AI), dans son rapport 2014, s’insurge contre la répression de la dissidence et la poursuite de la « politique de non-coopération avec les mécanismes des droits humains de l’ONU ».

« Des lois adoptées successivement ont encore restreint la liberté d’expression et accentué les mesures punitives contre les journalistes », souligne AI.

D’ailleurs, Alioune Tine, son directeur pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, soutient que la Gambie est «une dictature », avec « le régime le plus dur » d’Afrique de l’Ouest.

« La Gambie est le pays où les organes de l’ONU ne peuvent pas faire correctement leur travail, où il est actuellement difficile d’être journaliste, où on exécute le plus», a dit M. Tine interrogé par Africa Check

Jammeh est « un véritable cas en Afrique de l’Ouest », a soutenu M. Tine. Pour lui, le fait qu’il décide tout seul d’appeler son pays « Etat islamique, sans consulter ses compatriotes, « cela veut tout dire ».

Il a rappelé que, lors du dernier sommet de l’Union africaine, lorsqu’il s’est agi d’envoyer des soldats au Burundi, « il a dit non », préférant « la répression à huis clos ». La Gambie, un Etat de droit ? « Si c’est de l’ironie, ça peut faire rire », tranche M. Tine.

Un cadre juridique et institutionnel répressif


Un groupe d’une cinquantaine de personnes tenant une banderole pour exiger que « toute la lumière soit faite sur l’assassinat de Deyda Hydara » et dire « halte aux assassinats et aux violences contre les journalistes et la presse » , lors d’une manifestation à Dakar. Photo AFP Un groupe d’une cinquantaine de personnes tenant une banderole pour exiger que « toute la lumière soit faite sur l’assassinat de Deyda Hydara » et dire « halte aux assassinats et aux violences contre les journalistes et la presse » , lors d’une manifestation à Dakar. Photo AFP

Pour sa part, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (OMCT) constate « un climat général de peur parmi les défenseurs des droits de l’homme gambiens, particulièrement depuis l’assassinat toujours non élucidé » de Deyda Hydara, co-fondateur du journal privé The Point, en 2004.

Dans un rapport de mission effectuée en 2010, l’OMCT signale que « le cadre juridique et institutionnel restrictif entrave la promotion et la défense des droits de l’homme », dans ce pays.

Cette réaction faisait suite au refus de Banjul de laisser des représentants de l’ONU enquêter sur les conditions de détentions dans les prisons gambiennes.

Des violations « commises à tous les niveaux »


Le même constat est fait par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) qui parle d’un des rares pays africains où « les violations des droits humains sont régulièrement commises  à tous les niveaux de la société ».

L’ONG basée à Dakar cite les arrestations arbitraires, en 2012, de l’avocate Amie Bensouda, de  Buba  Jawo, président de la Haute Cour de Justice, de la greffière Mariama Ceesay Mboob, de Modou Boye et Jerreh Manneh (tous deux greffiers adjoints).

A cela s’ajoutent les disparitions de l’l’imam Baba Leigh et de Mambury Njie, ancien ministre des Affaires étrangères, tous deux arrêtés pour avoir exprimé leur opinion sur l’exécution de 9 condamnés en 2012.

« Depuis 1965, date d’accession à son indépendance jusqu’à la fin des années 1980, la Gambie était considérée, dans la sous-région ouest-africaine, comme l’un des meilleurs élèves qui respectent les principes de l’Etat de droit et de la démocratie, les droits humains et la bonne gouvernance’’, relève la RADDHO.

Mais elle précise que l’avènement du régime de Jammeh a installé le pays dans « un climat de terreur».

Conclusion : dire que la Gambie est pas un pays de droit est faux


Il n'est pas question ici de dire si la Gambie a tort ou raison de garder le prisonnier fugitif. Mais les rapports de l’ONU, de l’OMCT, de RSF, d’Amnesty International et HWR  dressent un tableau sombre de la situation des droits de l’homme en Gambie et prennent le contre-pied de l’avocat sénégalais.

Les preuves contenues dans ces rapports montrent que des décisions, dans les domaines, sont régulièrement prises sur des bases arbitraires, non conformes au respect des droits humains. Tout le contraire de ce qu’on peut assimiler à un Etat de droit.

Malgré tout, la violation des droits de l’homme en Gambie fait régulièrement l’objet de dénonciation de la part de ces organisations. Celles-ci signalent, pêle-mêle, la « non-coopération » avec l’ONU, « un cadre juridique et institutionnel répressif »  et des « violations à tous les niveaux » .

Selon la définition onusienne de l’Etat de droit, la Gambie sous Jammeh n’entre pas dans la catégorie des régimes qui respectent les droits de l’homme.

 

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