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Non, 70% de l’aide au développement américaine ne sont pas dérobés

Cet article date de plus de 7 ans

Les Etats-Unis dépensent environ 50 milliards de dollars en aide au développement, soit environ 1% de leur budget fédéral total. La majeure partie, que ce soit dans le développement, la santé ou sous la forme d’aide humanitaire ou militaire, implique le département d’État américain.

Ainsi, au cours d’une audience de confirmation du nominé au secrétariat d’Etat Rex Tillerson, le sénateur Rand Paul a interrogé ce dernier au sujet de la corruption dans l’aide au développement.

«Il y a beaucoup, beaucoup de rapports à propos de la corruption dans l’aide étrangère», a-t-il affirmé. «Nous l’offrons aux pays en développement, et 70% sont dérobés».

M. Tillerson, ancien PDG de la compagnie pétrolière ExxonMobil, a répondu qu’il avait un jour vu des troupes militaires voler des cargaisons d’aide alimentaire á l’aéroport, sans toutefois préciser le pays où il avait pu observer cela. Il a ajouté que ce genre de comportements pouvait être évité, si les États-Unis choisissaient des partenaires adéquats pour délivrer cette aide.

Dans cette enquête, Politifact a décidé de se pencher sur le chiffre de 70% avancé par Rand Paul.

"Intrinsèquement impossible à calculer"


impossible Rand Paul, sénateur républicain du Kentucky

Il est évident qu’il peut y avoir des fuites dans l’aide au développement, Sergio Gor, porte-parole de M. Paul, a déclaré à Politifact que le sénateur «faisait remarquer combien souvent l’aide étrangère était détournée ».

Cependant, ni le bureau du sénateur, ni aucun expert que nous avons contacté n’a pu nous indiquer une étude prouvant que 70% des dons américains finissaient par être dérobés.

M. Gor nous a fourni un article de la main du chercheur reconnu William Easterly, de la New York University, qui affirmait toutefois quelque chose de profondément différent. M. Easterly écrit en effet qu’à la date de 2008, 76% du total de l’aide américaine allaient à des pays classifiés par le groupe de consulting privé PRS comme étant particulièrement corrompus. Cela signifie-t-il que l’ensemble de ce financement est perdu?

Non. Le classement de corruption n’est qu’un outil de mesure indirecte, au mieux. Sa visée est d’aider les entreprises à calculer les risques à investir dans un pays, et insiste surtout sur le clientélisme, le népotisme, et «des liens proches et suspicieux entre la politique et les affaires».

M. Easterly a lui-même déclaré à Politifact que son analyse était “suggestive”, mais en aucun cas conclusive que 70% des fonds étaient détournés.

«Il est intrinsèquement impossible de calculer que ‘x% de l’aide est détournée’ à partir des chiffres que j’utilise sur le montant de l’aide envoyée dans des pays corrompus», a expliqué M. Easterly. «Le détournement effectif de l’aide au développement a lieu en secret, au travers de diverses combines visant à leurrer les observateurs extérieurs. Donc personne ne sait combien d’argent est effectivement volé ».

M. Easterly a récemment écrit qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis ont «redirigé de l’aide financière vers des régimes comptant parmi les plus autocratiques, corrompus et répressifs du monde», tels que l’Ouzbékistan, l’Éthiopie et l’Ouganda. Même si ceci augmente les risques de détournement de fonds, il explique qu’il ne peut pas quantifier ce détournement.

Professeur de droit à l’Université de Copenhague, Morten Broberg focalise sa recherche sur la corruption dans l’aide au développement et l’aide humanitaire.

«Je ne me souviens pas avoir rencontré de statistiques convaincantes et détaillées à ce sujet», a-t-il déclaré à Politifact. M. Broberg a rejeté le chiffre de 70% comme étant incorrect.

L’aide dans des zones de guerre est particulièrement exposée à la fraude


Le porte-parole du sénateur Paul a dit à Politifact que «des projets entiers ont été effectués frauduleusement». Il s’appuie sur un article d’opinion portant sur le Nigéria prétendant, sans fournir aucune documentation, que des centaines de milliards de dollars ont été volés au gouvernement depuis 1960, un montant quasiment égal á l’aide internationale envoyée par des donneurs.

Il cite aussi un article de The Economist affirmant que, un an après que des gouvernements occidentaux aient donné 1,2 milliard de dollars au Malawi, «des officiels corrompus, des hommes d’affaire et des politiciens ont prélevé plus de 30 millions de dollars de la trésorerie nationale».

Si ces faits sont avérés, il s’agit d’une forte somme, mais elle ne s’élève qu’à 2,5% de l’aide financière totale -et non 70%.

Fournir de l’aide à des régions en guerre augmente considérablement le risque de fraude. Des auditeurs gouvernementaux pour l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ont enquêté sur 25 cas de fraude et de corruption dans l’effort d’aide humanitaire en Syrie. Dans un cas précis, un vendeur turc avait remplacé des lentilles par du sel dans des rations humanitaires destinées aux Syriens fuyant les conflits. D’une dépense de 835 millions de dollars, les auditeurs de l’USAID  ont conclu que leurs enquêtes «ont abouti à des économies de plus de 11,5 millions de dollars».

Ils ont ajouté qu’à un certain moment, jusqu’à 300 millions de dollars de programmes d’aide étaient suspendus en attendant un contrôle. Cela ne signifie pas que cet argent avait disparu dans la fraude ou des vols : environ un quart de ces fonds ont ensuite été autorisés à opérer.

L’Afghanistan et l’Irak sont des gouffres majeurs pour l’aide internationale américaine. En 2014, un rapport spécial de l’inspecteur général sur la reconstruction afghane affirmait qu’environ 1,6 milliard de dollars d’aide transitait par des ministères qui «étaient incapables de gérer et rendre compte de ces fonds». Le rapport ne donnait pas d’estimation du montant d’aide ayant été dérobée. Il ajoutait que, même si l’Agence américaine pour le développement international était au courant de la faiblesse des contrôles, le personnel continuait à approuver les subventions.

Pour l’Iraq, la Commission du Congrès sur l’adjudication en temps de guerre a estimé le coût de la fraude «entre  et 5 et 9%» sur la période de 2002 à 2011. Le montant atteignait 18,5 milliards de dollars.

Conclusion : les vols n’atteignent pas le niveau affirmé


Le sénateur Rand Paul a affirmé que 70% de l’aide internationale était dérobée. Son bureau n’a pas su désigner une étude soutenant ce chiffre pour l’ensemble de l’aide américaine. Des experts du domaine interrogés ne connaissaient pas cette estimation. Si le détournement d’aide est bien réel, et potentiellement très élevé sur des projets individuels, il n’atteint donc pas l’ampleur invoquée par Rand Paul.

Politifact a évalué cette déclaration comme incorrecte.

Découvrez l’article sur leur site.  

Traduit de l’anglais par Julie Bourdin

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