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Non, il n'y a pas eu 1200 cas de grossesse en milieu scolaire à Dakar en 2019 

Cet article date de plus de 3 ans

Le mardi 22 septembre 2020, le journal sénégalais Le Quotidien indiquait à sa Une : « 1200 grossesses en milieu scolaire, Dakar un mauvais élève ». L’article, publié également sur le site du journal, précise que « plus de 1200 cas de grossesses ont été enregistrés dans 427 établissements scolaires situés dans les départements de Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque ».

Le texte précise que ces chiffres vont connaitre une hausse notamment avec les mesures de confinement dues à la Covid-19, en attribuant ces propos au Réseau Siggil Jigéen, une association qui milite pour la cause des femmes.

L'information a été reprise par de nombreux sites d’informations au Sénégal (1,2,3…) au Benin ou encore en Côte d’Ivoire mais aussi  sur Facebook (1,2,3,4…) et Twitter avec comme source le quotidien Enquête. Sauf qu'en réalité ce journal n'en a pas parlé.

L’article n’est pas paru dans le quotidien Enquête   


Selon Seneweb, un des sites qui ont repris l'information, celle-ci a été publiée par le quotidien Enquête dans son édition du mardi 22 septembre 2020. « Chaque matin, nous faisons la revue des titres et un résumé d’articles parus dans la presse sénégalaise. Et comme cet article a été publié le 22 septembre 2020 sur notre site, il a été pris dans l’Enquête du même jour », nous détaille Momar Mbaye, rédacteur en chef de Seneweb.

Nous nous sommes procuré la version numérique du quotidien Enquête du 22 septembre que vous pouvez consulter ici. Il n'y a aucune trace d’un article évoquant le nombre de grossesses dans les établissements scolaires. La rédactrice en chef de ce journal, Bigué Bop, interrogée par Africa Check avance que son organe n’a jamais publié une telle information. « Je ne sais pas d'où ces sites ont pris cette information mais ce n'est pas dans notre journal », se défend-t-elle.

Une déclaration du Réseau Siggil Jigéen ?


Africa Check a contacté le journaliste Abdou Latif Mansaray, auteur de l’article paru dans le journal Le Quotidien afin de savoir d’où il tenait ces chiffres sur les grossesses dans les établissements scolaires à Dakar. Il nous explique que « c’est de Fatou Seck, membre du Réseau Siggil Jigéen  ».

« Elle a évoqué ces chiffres lors de son intervention au cours d’une rencontre de plaidoyer avec le maire de la Commune de Keur Massar (banlieue dakaroise) pour le financement de la santé de la reproduction des adolescent(e)s et des jeunes », explique Abdou Latif Mansaray qui nous a fait parvenir la plaquette informative distribuée au cours de ladite rencontre.

Sur celle-ci, on lit : « En 2018, 1222 cas de grossesses ont été enregistrés entre 12 et 19 ans dans 427 établissements, soit un pourcentage de 34,94%. 135, 132 et 53 cas de grossesses notés respectivement dans les Inspections Médicales des écoles de Pikine, Guediawaye, Dakar et Rufisque ».

 Une étude qui ne concerne pas que Dakar


Jointe par Africa Check, Fatou Seck se présente comme la présidente du groupe thématique santé éducation pour la campagne Deliver For Good Sénégal, « une campagne pluriannuelle de plaidoyer qui a pour objectif de rassembler divers intervenants en vue de faire progresser l’égalité des genres et l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) ». Elle est aussi membre de la Cosydep, (Coalition des organisations en synergie pour la défense de l'éducation publique).

Elle nous confie avoir certes pris part à la rencontre mais assure n’avoir pas fait cette déclaration. Nous n'avons pas été en mesure de déterminer si elle a effectivement tenu les propos qui lui sont attribués ou pas, n'étant pas parvenu à obtenir un enregistrement audio de ladite rencontre.

Fatou Seck indique toutefois que lors de son exposé, la présidente du Réseau Siggil Jigéen a avancé le nombre de grossesses répertoriées dans les écoles, en précisant que ce chiffre ne concernait pas seulement la région de Dakar mais tout le territoire sénégalais. « C’est en fait 1222 cas de grossesses  qui ont été notés dans 427 établissements du Sénégal et cette étude ne date pas de 2019 mais plutôt de 2018 », clarifie-t-elle.

Ses explications sont corroborées par celles de la présidente du Réseau Siggil Jigéen. Jointe par Africa Check, Safiètou Diop renseigne avoir brandi cette information comme argumentaire pour un financement de la santé de la reproduction des adolescent(e)s et des jeunes. « Les chiffres nous ont été transmis par le Groupe pour l‘étude et l’enseignement de la population (GEEP) et ce sont des données qui concernent tout le Sénégal. En  aucun moment lors de la rencontre, nous n’avons avancé que les 1222 cas de grossesses concernaient la région de Dakar », se défend Safiétou Diop qui a réitéré ces mêmes propos lors d’un débat (à 1h 17’ du débat) sur « les violences basées sur le genre » à la Sen Tv, une télévision privée sénégalaise.

La région de Dakar n'est pas la plus touchée par les grossesses en milieu scolaire


Au Sénégal, depuis 2015, le Groupe pour l‘étude et l’enseignement de la population (Geep) en collaboration avec Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) publie chaque année une étude sur les grossesses précoces en milieu scolaire. Son coordinateur, Dr Babacar Fall, nous a notifié que la région de Dakar n’était pas la plus touchée dans les cas de grossesses relevés dans les établissements scolaires. « Le chiffre qui est évoqué dans les médias est en fait une étude réalisée par le Geep qui date de 2018 et qui concerne tout le Sénégal. Pour l’étude de 2019, c’est la région de Sédhiou qui compte le plus de cas de grossesses en milieu scolaire ». 

Effectivement, selon le « rapport des observatoires sur les grossesses chez les adolescentes en milieu scolaire 2018 », qui nous a été envoyé par Dr Babacar Fall, « en 2018, 1222 cas de grossesses ont été enregistrés entre 12 et 19 ans dans 427 établissements soit un pourcentage de 31,48 % sur les 1356 collèges d'enseigement moyen (CEM) et lycées de la carte du Sénégal ». Et les trois régions les plus touchés sont Thiès, Sédhiou et Ziguinchor. Diourbel, Dakar et Kédougou ont les taux les moins élevés.

A noter que pour la région de Dakar la collecte n'a porté que  sur des écoles des départements de Rufisque et Pikine. Le document indique par ailleurs que « la collecte concerne les cas de grossesse recensés entre le 15 octobre 2017 au 11 juillet 2018. Il précise que les chiffres de 2018 représentent une baisse par rapport à 2017 où 1263 cas de grossesse ont été enregistrés dans 680 établissements sur 1318.









Augmentation des cas en 2019


Le rapport de 2019 indique de son côté que « 1321 cas de grossesse d’adolescentes âgées entre 12 et 19 ans ont été recensés. Les établissements (Collèges d'enseignement moyen et lycées) où des cas de grossesse ont été recensés sont estimés à 563 sur 1264 couverts par l'étude, soit à peu près un établissement sur deux ».

Le document note une hausse par rapport à 2018 qui s’explique « par une augmentation des cas de grossesses constatés particulièrement à Sédhiou, Ziguinchor, Matam, Louga, Kaffrine, Kédougou. Par contre, à Kolda, Kaolack, Diourbel, Thiès et Saint Louis, une baisse a été notée ».









Des mariées parmi les cas de grossesse en milieu scolaire


Le rapport 2018 indique  qu'en ce qui concerne le statut matrimonial, 52,45% des cas de grossesse en milieu scolaire sont des célibataires et 47,55% sont des filles mariées.

« Les plus forts pourcentages de filles mariées sont constatés à Matam, Kaffrine, Kaolack, Louga, Saint Louis, Diourbel, Dakar, Thiès » alors qu’à « Sédhiou, Ziguinchor, Kolda, Fatick, Tambacounda, la majorité des filles tombées enceintes est constituée de célibataires », peut-on lire dans le document.

Pour ce qui est du rapport 2019, la répartition des cas de grossesse en milieu scolaire selon le statut matrimonial informe qu'il y a une majorité de filles mariées avec 51,55% alors que les filles célibataires représentent 48,45%.









Hausse des grossesses à cause du confinement ? 


Pour ce qui est de la relation entre le confinement et les grossesses dans les écoles, M. Fall est formel : « c’est l’étude de 2020 qui prend en compte ce paramètre et pour l’instant, nous sommes dans l’analyse des données recueillies.  Nous ne pouvons rien avancer à ce sujet pour le moment », indique-t-il.

Safiétou  Diop présidente du Réseau Siggil Jiggen précise elle aussi : « il est impossible à l’heure actuelle de dire si le confinement que le Sénégal a connu a un impact sur la hausse ou non du nombre de grossesses dans les écoles ».

Conclusion : Le chiffre donné sur les cas de grossesse en milieu scolaire à Dakar est erroné


Le 22 septembre 2020, le journal Le Quotidien informait à sa Une que la région de Dakar avait enregistré plus de 1200 grossesses dans les établissements scolaires en 2019. Attribuant cette information au Réseau Siggil Jiggen, l’article du Quotidien souligne que ces chiffres vont connaitre une hausse avec les mesures de confinement imposées à cause de la pandémie de Covid-19.

Toutefois les chiffres annoncés par Le Quotidien sont les résultats d’une étude du Groupe pour l‘étude et l’enseignement de la population (Geep) qui datent de 2018 et qui ne concernent pas uniquement la région de Dakar mais tout le pays.

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