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FICHE D'INFO : Etat des lieux de l'industrie du livre en Afrique

Cet article date de plus de 6 ans

L’industrie du livre n’est pas assez développée sur le continent, surtout dans sa partie subsaharienne francophone qui constituait – en 2012 – 1,4 % de la production éditoriale mondiale, d’après la bibliothèque nationale de France. Celle-ci explique «cette relative faiblesse» par le faible taux d’alphabétisation, l’absence d’une politique du livre, le multilinguisme et la concurrence des éditeurs étrangers.

«Le manque de formation des éditeurs africains influe sur leur degré de professionnalisme ; le peu de moyens dont ils disposent empiète aussi sur leurs performances, car, malgré la demande en termes d’édition, les éditeurs n’ont pas suffisamment de moyens pour produire assez de livres», explique à Africa Check,  Bachir Coly de la maison d’édition L’Harmattan-Sénégal.

Rentrée littéraire, dans la librairie "Brouillon de Culture" à Caen, le 24 août 2009. Photo AFP. Rentrée littéraire, dans la librairie "Brouillon de Culture" à Caen, le 24 août 2009. Photo AFP.

Selon lui, «un éditeur local (sénégalais) sort en moyenne 2 à 4 titres par an ». Ce qui n’est cependant pas le cas pour une maison d’édition comme L’Harmattan-Sénégal qui,  «grâce à son partenariat avec L’Harmattan-Paris, sort en moyenne 10 ouvrages» sur la même période.

«Certains éditeurs peuvent rester trois ans sans publication», ajoute Coly qui fustige «l’insuffisance d’émissions littéraires dans les programmes télévisuels et radiophoniques» pour encourager la lecture et l’écriture.

Pour Ama Ndiaye, conservateur de bibliothèque à la direction du livre et de la lecture du Sénégal, les éditeurs «travaillent sur un produit qui n’est pas très commercialisé, les gens lisent plutôt la presse. Les élèves et les étudiants ne lisent que – pour la majorité – les œuvres au programme».

"Harmonisation du droit d'auteur"


«La difficulté ici n’est pas le fait que les gens ne lisent pas les livres. Elle est plutôt liée au pouvoir d’achat. Quand un livre coûte cher, il n’est pas accessible à tout le monde. L’accessibilité en question n’est pas la présence massive des livres dans les rayons mais un prix bon marché», analyse M. Ndiaye pour Africa Check.

«L’impression d’ouvrages coûte cher et a un impact sur leurs prix. Une impression qui n’est, d’ailleurs, souvent pas de qualité, ce qui oblige certains éditeurs africains à se faire imprimer en Europe ou dans les pays du Maghreb », rétorque Bachir Coly qui évoque plutôt  «un pouvoir d’achat relativement bas des populations africaines mais aussi le taux d’illettrisme».

Les problèmes de l'édition en Afrique ont été évoqués au Salon du livre de Paris, en mars 2017. Photo AFP. Les problèmes de l'édition en Afrique ont été évoqués au Salon du livre de Paris, en mars 2017. Photo AFP.

Un autre élément important qui entrave l’industrie éditoriale en Afrique et la création artistique de manière générale, c’est l’harmonisation du droit d’auteur  qui reste inaboutie et ce, d’ailleurs, même l’échelle mondiale.

L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) qui regroupe 17 pays, pour la plupart francophones (à l’exception de la Guinée Bissau et de la Guinée équatoriale), tente d’établir, depuis sa création, un droit d’auteur applicable à ses pays membres, mais peine à parvenir à ses fins.

L’édition se porte mieux dans les pays anglophones


En Afrique du Sud, par exemple, même si le marché du livre est en proie à de nombreux problèmes, il devrait connaitre une légère hausse en 2016.

La meilleure santé de l’industrie du livre dans les pays anglophones d’Afrique relativement à celle des pays francophones « peut s’expliquer par le fait que les anglophones publient plus que les francophones», selon Bachir Coly.

«Leur niveau de développement technique est de loin supérieur à celui des pays francophones. Au Sénégal, par exemple, il n’y a pas assez de librairies, on ne compte que cinq grandes librairies à Dakar et quasiment pas de réseau de distribution à l’intérieur du pays», indique Coly.

Il y a aussi « le recours à la photocopie quand on n’a pas les moyens d’acheter un livre, surtout pour les livres scolaires ou les livres au programme et les TIC qui facilitent l’accès à un contenu gratuit, mais aussi la percée du livre numérique», déplore-t-il.

Le numérique, obstacle ou opportunité?


Les livres, sous toutes leurs formes (physique et numérique), jouent un rôle fondamental dans le processus d’alphabétisation,  déclarait en 2015,  la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur.

Ama Ndiaye de la direction du livre et de la lecture du Sénégal est du même avis. Pour lui,  «la plus grande erreur serait d’opposer le livre numérique au livre classique ».

«Je pense que c’est un complément. C’est-à-dire que le numérique peut participer à mieux promouvoir un livre si celui-ci a du mal à circuler à travers nos frontières. Par le billet du numérique, un livre qui vient d’être publié en Afrique peut être accessible à quelqu’un qui se trouve au Japon», a-t-il argumenté.

La librairie numérique africaine (LNA), basée à Dakar, interprète l’arrivée du numérique dans l’industrie du livre comme une révolution comparable à celle de l’invention de l’imprimerie. Les initiateurs de ce projet estiment que «l’Afrique ne doit pas rester en marge de cette innovation destinée à perdurer».

A l'image du Salon du livre de Paris, Dakar abrite une foire du livre et du matériel didactique. Photo AFP. A l'image du Salon du livre de Paris, Dakar abrite une foire du livre et du matériel didactique. Photo AFP.

«Car avec le numérique, le livre ne peut plus disparaître, contrairement aux bibliothèques qui brûlent lorsque, nous dit Amadou Hampathé Ba, un vieillard meurt en Afrique».

«Tous les livres imprimés, publiés depuis le début des indépendances et même durant la période coloniale, épuisés ou oubliés depuis, peuvent désor­mais retrouver une seconde vie grâce à leur conversion au format numérique», estime la LNA.

Dans un article publié par Africa Diligence sur la base d’une étude de Knowdys Consulting Group, il est indiqué que «la part de marché du livre numérique est encore extrêmement marginale en Afrique centrale et de l’Ouest à 0,01%».

«Le numérique est une donnée que beaucoup d’éditeurs africains n’avaient pas prévu dans leur plan de développement. Malgré cette marginalité, il risque de causer beaucoup de dégâts aux éditeurs et aux libraires, car aujourd’hui, un Africain peut se faire éditer gratuitement en ligne ou moyennant quelques frais, il peut acheter des ouvrages en ligne ou les avoir gratuitement, les idées circulent sur les réseaux sociaux au lieu d’être consignées dans un ouvrage», analyse, pour sa part, Bachir Coly.

Les professionnels se tournent vers les dirigeants


Lors d’un colloque tenu en marge de la Foire internationale du livre de Dakar (FILDAK) en 2015, le Docteur Dominique Zidouemba, chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique noire, avait insisté sur le fait que l’avenir du livre en Afrique dépend de la volonté politique.

«Les Etats doivent revaloriser l’industrie éditoriale en l’appuyant techniquement et financièrement. Les éditeurs doivent se mettre à l’ère du numérique et l’harmonisation des droits d’auteur qui dépend d’une volonté politique réelle est à faire», préconise Bachir Coly de L’Harmattan-Sénégal.

Edité par Assane Diagne

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