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ANALYSE - Fact-checking et journalisme d’investigation : quelle différence ?

Si les fact-checkers et les journalistes d’investigation cernent naturellement les points de convergence et les différences entre leurs pratiques, la chose n’est pas toujours facile à comprendre pour tout le monde, dont certains journalistes.

L’essor du fact-checking dans la pratique journalistique amène souvent – ceux qui le découvrent – à se demander s’il peut être assimilé au journalisme d’investigation. Une interrogation logique qui traduit surtout le fait que certains journalistes ont tendance à perdre le réflexe basique de vérifier l’information avant de la publier.

Et si on me dit que vérifier une information avant de la publier est de moins en moins évident à l’heure d’Internet et du Web 2.0, à l’heure où tout va vite, je répondrais qu’une information juste sera toujours meilleure et plus utile qu’une fausse information. Je demeure persuadé que la vérification est la base du journalisme. Tout le monde le sait.

Mais tout le monde ne distingue pas le fact-checking du journalisme d’investigation et c’est une chose à laquelle il semble utile d’apporter des éclaircissements.

Quel genre journalistique ?

Quand j’écrivais, pour Africa Check, mon premier article de vérification de faits, je me suis longuement interrogé sur le genre journalistique auquel je devais assimiler le fact-checking : seul le journalisme d’investigation m’est venu à l’esprit.

A l’école de journalisme, dans l’étude des genres, pour schématiser la différence entre le reportage et l’enquête, on répète aux étudiants en journalisme que « si le reportage montre, l’enquête démontre ». Mais le fact-checking démontre également qu’une information est fausse ou vraie, en quoi elle est fausse (ou vraie). Le fact-checking est la vérification par les faits d’une information donnée. Cela implique logiquement un exercice de démonstration.

Le fact-checking vérifie une information publique, l’enquête expose des faits cachés


L'Université du Witwatersrand a abrité la 10e conférence mondiale du journalisme d'investigation au cours de laquelle le fact-checking a été débattu par les participants. Photo Africa Check.Image retirée. 

L'Université du Witwatersrand a abrité la 10e conférence mondiale du journalisme d'investigation au cours de laquelle le fact-checking a été débattu par les participants. Photo Africa Check.

A la Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation à laquelle j’ai pris part du 16 au 19 novembre 2017 à l’Université du Witwatersrand à Johannesburg, il a souvent été question de fact-checking lors des ateliers. 

A la fin d’une conférence sur la réalisation d’une investigation journalistique qu’il co-animait avec d’autres journalistes d’investigation, Mark Schoofs, qui dirige les enquêtes et les projets au sein du média américain BuzzFeed News, a partagé avec moi son analyse sur la différence qu’il fait entre le fact-checking et le journalisme d’investigation.

Il relève que le fact-checking vérifie une information ou une déclaration qui est déjà dans le domaine public, quelque chose dit par un homme politique, par exemple. Mais les reportages d'enquête exposent souvent la corruption, des actes répréhensibles qui avaient été cachés au public. « Ainsi, la vérification des faits, bien qu'importante, ne creuse habituellement pas aussi profondément que le journalisme d'investigation », estime Schoofs.

"Le point de départ, la grande différence"

Amadou Tidiane Sy – le fondateur du site d’informations ouestaf.com qui assistait également à cette 10e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation – explique que le journalisme d’investigation peut requérir beaucoup plus de ressources et de temps en plus d’impliquer des questions de sécurité (du journaliste, de l’organe de presse).

Sur certains aspects, argue-t-il, un journaliste d’investigation peut faire appel à de l’immersion ou à de l’infiltration. Il peut faire appel à des outils qui font qu’il ne s’identifie pas. Alors que, le journaliste qui fait du fact-checking travaille sur un sujet qui est déjà rendu public. Donc il travaille souvent très ouvertement. Et ça, c’est une des différences majeures entre les deux genres.

 « La grande différence c’est le point de départ du travail et c’est cela qui détermine la différence dans la démarche », selon Amadou Tidiane Sy qui souligne néanmoins que « l’un des grands points où les deux se rejoignent, c’est ce souci de rigueur et de démonstration ».

Il ajoute que celui qui fait du fact-checking peut utiliser les outils qu’utilisent celui qui fait du journalisme d’investigation. « Pour le journalisme, de manière générale, tous les outils qu’on utilise pour un genre, peuvent être utilisés pour un autre. Ça dépend des circonstances, je ne pense pas qu’il y ait d’exclusivité sur ce point-là ».

La frontière est donc si ténue que certains estiment tout simplement que le fact-checking n’est pas un nouveau genre mais juste une tendance du journalisme d’investigation.

"Le fact-checking doit être plus rapide"

Sur l’importance grandissante du fact-checking, Mark Schoofs met d’abord en exergue le fait que nous vivons à une époque où il circule beaucoup plus d'informations, créées par plus de personnes et disponibles à tout moment comme cela n’a jamais été le cas dans l'histoire humaine.

« Toute personne ayant un compte Facebook ou Twitter est un informateur. Alors, certaines déclarations peuvent être fausses ; et même beaucoup de sites – soit disant –  ‘‘de nouvelles’’ ne sont rien d’autres que des sources de polémiques partisanes déguisées en nouvelles. Alors, les gens ont besoin de la vérification des faits pour les aider à naviguer dans nos océans d'informations ».

La vérification des faits, selon Schoofs, doit devenir plus agile et rapide, surtout dans les nouvelles de dernière heure. « Chez BuzzFeed News, chaque fois qu'il y a une attaque terroriste, un ouragan, une élection ou un événement de dernière minute, nous commençons immédiatement à regarder les médias sociaux pour vérifier les fausses déclarations et les démystifier. Nos lecteurs trouvent que c'est l'un de nos services les plus précieux ».

En ce qui concerne le journalisme d'investigation, « qui est actuellement dans une période dorée avec la production de formidables reportages à travers le monde entier »,  il doit tout de même améliorer la sécurité numérique « pour que les sources, les dénonciateurs et les fuites continuent de se manifester et d'exposer les actes répréhensibles », reconnaît le journaliste américain.

Il appelle « la communauté internationale (à) se lever (pour) empêcher les gouvernements répressifs d'emprisonner ou de tuer des journalistes et leurs sources ».

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